
L’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, sanctionné pour ses liens avec Vladimir Poutine, lance des poursuites contre le Bundestag
Les députés allemands avaient décidé en mai de priver le social-démocrate de certains de ses avantages d’ancien chef du gouvernement en raison de ses liens avec M. Poutine et la Russie. Son avocat a annoncé vendredi qu’il venait de déposer plainte contre cette décision.
Le conflit au sommet de l’Etat se judiciarise. Gerhard Schröder, chancelier allemand de 1998 à 2005, devenu une figure encombrante pour son parti et son pays depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine en raison de ses liens personnels avec Vladimir Poutine, a lancé des poursuites judiciaires contre la Chambre des députés allemande, qui l’a privé d’une partie de ses avantages, a confirmé vendredi son avocat à l’Agence France-Presse.
Les informations concernant un recours en justice de la part de M. Schröder contre le Bundenstag sont « correctes », a ainsi affirmé son avocat, Michael Nagel. Un porte-parole du tribunal administratif de Berlin a également confirmé qu’une plainte avait été déposée.
Privé de certains de ses avantages d’ancien chancelier
En mai dernier, la chambre basse du Parlement allemand avait décidé de priver l’ancien chef de gouvernement social-démocrate de certains de ses avantages en raison de ses liens d’amitié avec M. Poutine et avec la Russie. Les députés assuraient alors « tirer les conséquences de son comportement (…) face à l’invasion russe en Ukraine », selon la commission budgétaire du Bundestag.
En tant qu’ancien chancelier, il avait notamment droit à plusieurs bureaux à la Chambre des députés et un budget lui était alloué pour employer du personnel, pour une enveloppe totale de 400 000 euros par an. Par cette décision des députés, M. Schröder a été privé des bureaux qui lui étaient alloués par l’Etat fédéral. Il a toutefois conservé sa protection policière et sa pension de retraite de chancelier.
Intervenant vendredi matin sur la radio publique régionale NDR, son avocat a jugé que cette décision était « illégale », M. Schröder n’ayant « appris tout ça que par les médias ». Me Michael Nagel a notamment fait valoir que ce dernier n’avait pas non plus eu l’occasion de s’exprimer devant la commission parlementaire chargée de statuer sur ces avantages. Le Bundestag n’a pas encore souhaité s’exprimer concernant ce dépôt de plainte.
Ami revendiqué de Vladimir Poutine et intérêts en Russie
L’ancien chancelier, âgé de 78 ans, avait noué au début des années 2000 une amitié avec le président russe, qu’il a qualifié en 2004 de « parfait démocrate ». Celui qui occupait également un siège au conseil d’administration de la compagnie pétrolière Rosneft s’était résolu à le quitter en mai et avait également annoncé renoncer à faire son entrée au conseil d’administration du géant gazier russe Gazprom, avec lequel il a des liens anciens.
Mais contrairement à la plupart des anciens dirigeants européens présents avant la guerre dans les instances dirigeantes des entreprises russes, M. Schröder a tardé à démissionner de ses différentes fonctions. Egalement très impliqué au sein de la société Nord Stream AG, il avait demandé à Berlin de reconsidérer la position du gouvernement allemand sur le gazoduc Nord Stream 2, dont le démarrage a été bloqué à l’approche de l’invasion de l’Ukraine.
Depuis, l’ancien chancelier campe sur ses positions. « Je ne renoncerai pas à mes possibilités de discussions avec le président Poutine », a-t-il prévenu le 10 juillet dans un entretien au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. Après sa récente rencontre avec le chef de l’Etat russe à Moscou, il a aussi affirmé que la Russie souhaitait une « solution négociée » au conflit, des propos qualifiés de « dégoûtants » par le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
« Pourquoi devrais-je m’excuser ? », déclarait encore Gerhard Schröder dans un long entretien publié mercredi 3 août dans le magazine Stern, jugeant notamment « aberrant[e] » l’idée que l’Ukraine récupère la Crimée, annexée par la Russie depuis 2014.
Dans cet entretien, M. Schröder avance également l’hypothèse d’une neutralité militaire de l’Ukraine et d’une solution sur le modèle des « cantons suisses » pour le Donbass, sans plus de détails. Quant à la crise énergétique, il accuse de nouveau son propre pays de se priver de « se servir du gazoduc Nord Stream 2 », décision dont l’Allemagne devra « assumer les conséquences gigantesques ».
Pour l’instant toujours membre du SPD
Lâché ces derniers mois par une partie de ses collaborateurs en raison de cette position, et alors qu’une quinzaine de sections locales du Parti social-démocrate (SPD) allemand avaient exigé des sanctions à l’encontre de M. Schröder, ce dernier a tout de même été conservé au sein des rangs de sa famille politique, après une décision actée cette semaine.
« Gerhard Schröder ne s’est pas rendu coupable d’une infraction au règlement du parti, car aucune infraction n’a pu être prouvée à son encontre », a expliqué la section SPD de Hanovre (nord), le fief de l’ancien chancelier, dans un communiqué rendu public lundi. « La commission d’arbitrage estime que le domaine des relations amicales personnelles fait partie du domaine de la vie privée », a-t-elle ajouté, estimant néanmoins « souhaitable » une « prise de distance nette » vis-à-vis de M. Poutine.
Pour le chef actuel du parti, Lars Klingbeil, l’échec provisoire de l’exclusion n’enlève rien au fait que, « politiquement, Gerhard Schröder est isolé avec ses positions au sein du SPD ». La décision est « mauvaise » pour la « crédibilité du SPD », mais aussi « mauvaise pour notre pays tout entier », a jugé pour sa part Thorsten Frei, un député de l’opposition conservatrice.
Un appel de la décision, considéré par plusieurs membres du SPD, peut encore être interjeté dans un délai d’un mois. Gerhard Schröder reste aussi menacé par de possibles sanctions que pourrait prendre le Parlement européen.