par fernando » 14 Jan 2025, 14:38
Vu du Royaume-Uni. Ce qui ruine la France ? C’est son système de retraites
Alors que les négociations autour de la réforme des retraites battent leur plein entre François Bayrou et le Parti socialiste, le journaliste britannique John Lichfield jette un pavé dans la mare, dans un article d’opinion. Le principal problème économique de la France n’est provoqué ni par les immigrés ni par les jeunes, écrit-il. Mais par “les vieux, les baby-boomers, les retraités”.
À qui la faute, principalement, du déficit budgétaire français ? Aux personnes âgées. Un tiers du trou annuel dans le budget français (soit plus de 50 milliards d’euros) est comblé par une forme de subvention versée par le contribuable, au profit d’un système de retraites du public pourtant censé s’autofinancer.
Pourquoi cette croissance atone et un chômage si élevé en France ? À cause des retraités. C’est principalement le coût du généreux régime de retraites français qui explique les lourdes charges salariales qui étouffent les entreprises et tuent les emplois.
Un tiers des dépenses publiques en France sert à financer les pensions.
Pourquoi le système éducatif français peine-t-il tant à proposer une rémunération décente aux enseignants ou de nouvelles écoles, malgré la baisse du nombre d’élèves ? Parce que les vieux accaparent l’argent destiné aux jeunes. Près de 20 % du budget de l’Éducation nationale (63 milliards d’euros) financent les pensions des enseignants retraités.
Voilà des années qu’un petit groupe d’économistes tente de sonner l’alarme face aux excès et aux absurdités du système de retraites en France. Sylvain Catherine, un Français professeur d’économie à la Wharton University (Pennsylvanie), appelait ce week-end encore, dans La Tribune Dimanche, à la désindexation des retraites les plus élevées.
On lui souhaite bonne chance. Rappelons qu’en décembre, c’est un modeste amendement visant à baisser le taux de revalorisation des pensions des retraités les plus aisés qui avait achevé le gouvernement Barnier et conduit à sa censure.
Les retraites, à la fois polémiques et taboues
Pour Hakim El Karoui, de l’Institut Montaigne, le fardeau écrasant du système de retraites et l’injustice qu’il crée entre les générations sont devenus le “débat interdit” de la vie politique française. Tant que ce tabou ne sera pas levé, la France ne pourra pas résoudre son problème de déficit, ni investir dans son avenir, juge-t-il.
Un débat “interdit” ? N’allons pas jusque-là. Il y a à peine deux ans, la détermination d’Emmanuel Macron à faire passer l’âge de départ de 62 à 64 ans avait entraîné une vague de manifestations violentes.
Le choix qu’il avait fait de passer en force malgré l’opposition d’une majorité de députés à l’Assemblée nationale est l’une des grandes raisons de son impopularité. C’est aussi à cause de cela, directement ou indirectement, qu’il a décidé en juin de dissoudre la chambre basse du Parlement et d’appeler à des législatives anticipées qui ont abouti au blocage politique actuel.
Mais Hakim El Karoui a raison. Les retraites réussissent cette prouesse d’être, dans le débat français, à la fois une polémique permanente et un tabou.
En 2023, c’est la prétendue “brutalité” du passage à 64 ans décidé par Macron qui avait concentré tout le bruit et la fureur. Pas un mot ou presque, dans les médias ou le monde politique, sur les déséquilibres cachés et intenables du système de retraites.
Un scandale d’inégalités
Exemple numéro un. Il faut quelque 56 milliards d’euros par an (soit un tiers du déficit) pour combler les régimes de retraites publiques. La plupart des Français financent ainsi non seulement leur propre retraite, mais aussi celle d’anciens fonctionnaires et cheminots dont certains peuvent toujours partir à 52 ans.
Exemple numéro deux. L’injustice du système actuel ne tient pas seulement à une fracture public-privé. C’est aussi un scandale d’inégalités entre les générations. Les gens de ma génération, les baby-boomers nés avant 1964, touchent plus qu’ils n’ont cotisé, ce qui n’est ni juste ni viable.
Selon l’Insee, ils perçoivent en moyenne 1,40 euro par euro cotisé, quand ceux nés dans les années 1980 ne recevront que 1,10 euro par euro cotisé. Quant aux plus jeunes, ils toucheront encore moins, si tant est que le système survive.
Quand le système actuel est entré en vigueur, en 1945, on dénombrait six actifs par retraité. De nos jours, ce nombre est tombé à 1,7, et il ne sera plus que de 1,2 en 2040.
D’autres pays riches connaissent des problèmes semblables, étant donné le vieillissement de la population. Mais la France est le seul pays européen à rester attaché coûte que coûte et presque exclusivement à un régime public contributif – en somme une sorte de pyramide de Ponzi où les pensions des retraités sont alimentées, en théorie, par les cotisations mensuelles des actifs.
Dans les faits, il n’y a pas un système public, mais des dizaines de régimes en fonction des métiers, de l’élu au danseur de ballet. Certains régimes sont à l’équilibre, mais ils sont l’exception. Les employés du secteur public généralement cotisent moins et peuvent partir plus tôt que ceux du privé. Et leurs régimes sont presque tous dans le rouge, très fortement et en permanence.
Marchandages autour du budget 2025
Toutes les propositions suggérant que la France devrait, comme l’Allemagne et d’autres, évoluer vers un système qui serait basé aussi sur de la prévoyance individuelle et de la capitalisation sont dénoncées, jugées contraires au modèle français et “vendues” à l’“ultralibéralisme”. Dans d’autres pays, ces régimes complémentaires sont un moyen d’atténuer la pression sur les entreprises et d’alimenter des fonds qui permettent d’investir dans l’avenir. À une ou deux exceptions négligeables, ils sont inexistants en France.
La bataille est tout sauf terminée. La frange de la gauche censée être responsable, le Parti socialiste, a posé [la suspension] de la réforme Macron comme condition de son soutien au vote du budget 2025, le mois prochain. En résumé, elle veut d’abord accroître le déficit pour ensuite donner son accord pour baisser le déficit.
Le raisonnement de l’extrême droite et de l’extrême gauche est encore plus dément. La France insoumise veut rétablir la retraite à 60 ans et “faire payer les riches”. Marine Le Pen prône la retraite à 60 ans pour certains, et à 67 pour d’autres.
L’avenir des retraites, toujours aussi nébuleux
Le nouveau Premier ministre, François Bayrou, a dit aux socialistes il y a quelques jours être ouvert à des “ajustements” de la réforme des retraites. Nul ne sait précisément ce que cela signifie. Le bon sens voudrait que l’âge de départ à la retraite en France soit encore repoussé dans les années à venir, et pas l’inverse.
Quelles sont les probabilités que ça arrive ? Les économistes ont beau décortiquer les chiffres, les politiques continuent de les ignorer. Aussi modeste et sensée qu’ait été cette proposition du gouvernement précédent, le nouveau budget devrait enterrer la désindexation des pensions les plus élevées en 2025.
Personne, pas même un Macron blessé, n’est disposé à affronter des seniors dorlotés pour dénoncer la catastrophe annoncée qu’est le système de retraites français. Cela nécessite un mélange de bon sens, de réalisme et de courage dont le monde politique actuel en France, dans son écrasante majorité, est dépourvu.
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