par krouw2 » 22 Août 2013, 13:53
tjr l'analyz just
Que reste-t-il d'Europe Ecologie cinq ans plus tard?
Corinne Lepage
Députée européenne, ancienne ministre de l'Environnement, Présidente de CAP21 et du Rassemblement Citoyen
L'intuition de Daniel Cohn-Bendit devenue réalité dans Europe Ecologie de 2009 reposait sur trois innovations : l'appel à la société civile prise dans sa seule dimension écologique, un projet résolument européen, une conception écolo-libérale du développement, tournant le dos à la décroissance.
Cinq ans plus tard, si ces trois dimensions restent essentielles dans une conception progressiste de la société de la construction européenne, le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont été abandonnées dans EELV. Certes, le ver était dans le fruit et il était dès le départ plus gros que le fruit. Dès l'université d'été de 2010, à laquelle j'avais participé, il m'était apparu évident que la nomenklatura verte voulait mettre la main sur ce formidable outil et faire prévaloir les tendances d'extrême gauche qui prédomine dans la mouvance écologiste en France. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas entrés dans EELV car la construction de ce mouvement n'avait plus rien à voir avec l'espoir suscité en 2009.
Ce sont en effet les politiques -au sens le moins noble du terme- qui ont pris le pouvoir au détriment des personnalités venues des sphères économiques, sociales et associatives et qui ont su parfaitement anéantir la formidable idée de la coopérative. La désignation des candidats aux élections législatives a parfaitement illustré la manière dont les "artistes" de la politique politicienne, parfaitement cyniques, ont su se rendre maîtres du jeu. La désignation des candidats aux européennes risque fort d'aboutir à un résultat comparable, grâce à un contournement du choix des militants. Or, c'est précisément ce comportement politicien, qui est apparu dans toute sa crudité dans l'abandon de revendications fortes contre des postes, qui a fait grand mal à la cause écologiste dans son ensemble. La négociation d'un accord par le parti, contre la candidate, à 8 mois de la présidentielle en a été le meilleur exemple après une primaire schizophrène.
Sur l'Europe, comment comprendre, si ce n'est pour des raisons purement politiciennes, que le parti qui s'était défini comme étant le plus pro européen lors des élections européennes ait voté contre le traité européen, entraînant ainsi le départ de Dany Cohn-Bendit. Cette position, qui ne s'explique que par le désir de flatter le front de gauche, dont un grand nombre de responsables se sentent très proches et de marquer une autonomie par rapport au parti socialiste, tourne directement le dos aux engagements qui avaient été pris en 2009. Elle démontre la forte césure au sein de ce mouvement entre des députés européens issus de la société civile convaincus pour la quasi-totalité et une structure partisane dont les préoccupations sont toutes autres.
Enfin, le souhait de marier économie et écologie dans une vision de développement économique, d'assurer le dynamisme d'une nouvelle économie en capacité de réduire massivement son empreinte énergétique et en ressources, n'est plus à l'ordre du jour. L'essentiel des revendications rejoint aujourd'hui celle du front de gauche que ce soit sur les retraites, le sérieux budgétaire, la politique internationale ou la lutte contre le terrorisme. Quant à la défense d'une conception écologique de la société, elle se résume à deux ou trois sujets, certes fort emblématiques et auxquels on ne peut que souscrire, mais elle fait fi de l'essentiel. Or, même si la société de communication dans laquelle nous vivons fait que ce dont on ne parle pas ne semble pas exister, la réalité est évidemment bien différente et vient toujours le jour où elle explose à la figure.
Pour autant, élargis et adaptés à la situation économique et politique actuelle, les trois piliers initiaux d'Europe Ecologie méritent d'être défendus.
La société civile tout d'abord qui ne se limite évidemment pas à la sphère de l'écologie, doit revendiquer le pouvoir qui lui est confisqué par une classe politique qui a perdu le sens des valeurs et de la mesure. Il est indispensable que ceux qui ont fait leurs preuves dans les entreprises, dans les associations, dans les collectivités publiques puissent accéder aux responsabilités politiques au moins à égalité avec ceux qui en ont fait un métier. La politique ne doit pas être une profession mais une mise au service des autres pendant un temps déterminé et avec des obligations très précises de rendre compte. Cette conception est indissociable de celle de la coopérative politique, qui permet d'associer les compétences de la société civile et du monde politique et qui assure également la coopération de sensibilités différentes mais d'accord sur les objectifs majeurs. C'est le sens du rassemblement citoyen.
L'Europe, ensuite, qui doit être profondément réformée et corollairement renforcée. Profondément réformée en ce qu'elle doit être mise au service des citoyens européens et non pas des grands lobbys. Des règles juridiques extrêmement rigoureuses pour éviter les conflits d'intérêts, voire le trafic d'influence doivent évidemment être mises en place, aussi bien au niveau du Parlement européen que de la Commission européenne et des organes d'expertise. Les solutions existent. A manqué jusqu'à présent la volonté politique de les mettre en place. Mais une Europe au service des citoyens européens est la seule manière de répondre aux problèmes communs que nous rencontrons, que ce soit sur le plan économique, social, sociétal, politique et géostratégique. Une fiscalité qui exclut la compétition entre Etats membres à laquelle nous assistons aujourd'hui, des ressources propres à même de financer de grandes politiques européennes en termes de formation, d'éducation, de recherche et de technologie notamment. Une politique commune sur le plan industriel, financier et fiscal à l'égard du reste du monde, qui n'en reste pas à une vision naïve de la concurrence que notre continent est le seul à appliquer. Une politique beaucoup plus vigoureuse pour promouvoir la troisième révolution industrielle et faire de notre continent un leader qui n'aurait jamais dû cesser d'être sur les écotechnologies, la chimie verte, la bio industrie, l'agriculture durable notamment. Quant aux questions de sécurité, de lutte contre le terrorisme, de lutte contre l'intégrisme incompatible avec les valeurs qui fondent l'Europe, elles ne peuvent être réellement traitées qu'à l'échelle européenne, même si évidemment les polices nationales et les politiques nationales jouent un rôle majeur. Dès lors, tous les eurosceptiques, qui imaginent que sortir de l'Europe et de l'euro serait la solution, non seulement nous exposent à une faillite économique et financière mais créeraient ainsi toutes les conditions d'une explosion sociale en même temps qu'elle nous exposerait un risque totalitaire. Nous devons être d'autant plus sévères à l'égard du fonctionnement actuel de l'Europe que celle-ci est indispensable pour notre intérêt collectif.
Enfin, la solution n'est pas dans la décroissance. La montée inexorable jusqu'à présent du chômage, la réduction massive de notre tissu industriel et nos comptes publics attestent de ses conséquences puisque c'est bien une décroissance subie et non voulue que nous vivons aujourd'hui. Pour autant, la solution n'est pas dans l'utopie qui consisterait à penser que les 30 glorieuses peuvent être de retour et que le monde industrialisé peut penser son développement comme le pense le monde en développement. C'est bien à une transition économique et pas seulement écologique à laquelle nous sommes appelés, qui rend indispensable un nouveau modèle, beaucoup plus décentralisé, autour de la troisième révolution industrielle et de l'économie bleue. C'est un autre état d'esprit, qui favorise l'initiative, la réussite, la solidarité et l'ingéniosité. C'est une nouvelle conception de l'État, organisé en missions et non plus en structure de défense de corps, qui est jugé en fonction de son efficacité à remplir sa mission. C'est le seul moyen de réduire massivement le coût de la dépense publique, puisque désormais le niveau de fiscalité ne peut plus monter sans réduire le montant de l'impôt perçu. Ce sont donc de nouvelles synthèses qui doivent être inventées, inclassables en fonction des critères traditionnels, ce qui rend bien entendu très gênant pour tous ceux, de tous bords qui préfèrent l'invective au débat et le raisonnement binaire à la recherche de solutions effectives.
Europe Ecologie était une première étape. Il convient maintenant de passer à la seconde.
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