par fernando » 25 Fév 2015, 14:29
Quatre élus français ont rencontré Bachar Al-Assad en Syrie
LE MONDE | 25.02.2015 à 10h53 • Mis à jour le 25.02.2015 à 12h14 | Par Yves-Michel Riols, Hélène Bekmezian et Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Le quartier de Jobar, dans l'est de Damas, en février après un bombardement par les forces du régime Assad.
C’est une brèche dans la muraille dressée par les autorités françaises entre elles et Damas. Mardi 24 février, pour la première fois depuis que le régime Assad a été décrété infréquentable en 2012, une délégation parlementaire française s’est rendue en catimini dans la capitale syrienne. Elle y a rencontré le président Bachar Al-Assad, grand ordonnateur de la répression qui a fait des dizaines de milliers de morts depuis 2011, au grand dam du Quai d’Orsay, qui s’est nettement dissocié de cette initiative. « On a vu Bachar Al-Assad ce matin. Plus d’une heure. C’était très direct. Je vais faire passer les messages là où il faut, comme il le faut », affirme le député (UMP, Yvelines) Jacques Myard, membre de la délégation, joint par Le Monde.
Selon les informations du Monde, les élus français, au nombre de quatre, emmenés par Gérard Bapt, député PS de Haute-Garonne et président du groupe d’amitié France-Syrie à l’Assemblée nationale, se sont aussi entretenus avec le président de l’Assemblée du peuple, Mohamed Jiham Laham, et avec le mufti de la République, Ahmed Badreddin Hassoun. Très peu d’informations supplémentaires ont filtré sur leur visite, organisée dans la plus grande discrétion et qui doit s’achever mercredi 25 février, en fin de journée. M. Bapt n’a pas donné suite aux appels répétés du Monde.
La démarche des quatre élus s’est attirée la réprobation immédiate du ministère des affaires étrangères, qui a rappelé la ligne diplomatique française, prohibant tout contact avec le pouvoir syrien. « Cela n’engage en rien la politique extérieure de la France, insiste avec agacement un diplomate. Ils ne nous ont pas demandé notre avis et ne vont pas à Damas à notre demande. Notre ligne est inchangée : on ne parle pas à Bachar. » Une politique instaurée en mars 2012, alors que le régime était aux abois, et qui s’est concrétisée par deux mesures couperets : la fermeture de l’ambassade française à Damas et le renvoi, deux mois plus tard, de la représentante de Syrie à Paris.
Le régime de Bachar al-Assad dénonce notamment une 'agression flagrante et un soutien d'Istanbul aux groupes jihadistes et islamistes' et l'un des porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères parle d'une 'action inacceptable'. Ankara soutient ouvertement l'opposition syrienne depuis 2011. Le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu a lui justifié cette opération comme un geste de défense de l'héritage turc en raison dit-il : 'de la détérioration de la situation autour de la minuscule enclave turque de quelques centaines de mètres carrés où gît Souleïmane Shah, le grand-père d'Osman Ier, fondateur de l'empire ottoman'. Ahmet Davutoglu s'est félicité du 'bon déroulement' de cette première incursion turque en Syrie depuis le début de la guerre civile tout en reconnaissant la mort d'un soldat. Les reliques du dignitaire turc ont été rapatriées temporairement en Turquie pour être inhumées ultérieurement en Syrie. Une zone a été sécurisée en territoire syrien pour transférer très prochainement la dépouille à cet endroit. Dans la nuit de samedi à dimanche dernier, une quarantaine de chars turcs sont entrés en Syrie pour évacuer la dépouille du dignitaire ottoman et les 38 soldats qui gardaient son tombeau. Un site situé au nord-est d'Alep dans une zone tenue par l'Organisation État islamique.
Retournement de situation
Mais depuis cette date, avec l’aide de ses alliés iraniens et russes, le président Assad a partiellement retourné la situation en sa faveur. L’enlisement de l’insurrection, sa contamination par des groupes radicaux et la montée en puissance du groupe Etat islamique (EI) mettent à rude épreuve la détermination française. Les attentats du mois de janvier à Paris, ont encore accru la pression sur le Quai d’Orsay et l’Elysée.
Dans le corps diplomatique comme au sein de la communauté du renseignement, de plus en plus de voix appellent à une révision de la politique syrienne de la France, en faisant valoir que le régime Assad pourrait aider à la traque des djihadistes français incorporés dans l’EI. Au sein de l’Union européenne, qui a imposé de nombreuses sanctions sur Damas, plusieurs pays comme l’Espagne, l’Autriche et la République Tchèque plaident également pour la réouverture d’un canal de communication avec le pouvoir syrien. Outre Gérard Bapt, habitué des voyages à Damas, et Jacques Myard, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, la délégation comprend Jean-Pierre Vial, sénateur UMP (Haute-Savoie) et président du groupe d’amitié France-Syrie de la chambre haute, ainsi que François Zocchetto, sénateur UDI (Mayenne), lui aussi membre de ce groupe.
« Mission personnelle »
« C’est une mission personnelle pour voir ce qui se passe, entendre, écouter, a déclaré M. Myard à l’AFP, qui assure que le voyage a été financé sur les deniers personnels de ses participants. J’ai payé mon ticket, j’ai payé mon hôtel la nuit dernière à Beyrouth. » Et le député d’ajouter, au Monde : « Il paraît qu’on est voué aux gémonies. J’adore cela. »
Mohamed Jiham Laham, président de l’Assemblée du peuple, rencontré par les quatre frondeurs, est un membre du parti baas au pouvoir. Même si la nouvelle constitution syrienne, adoptée en 2012, a cassé le monopole du parti sur la vie politique et que des membres d’autres partis, à l’audience confidentielle, siègent désormais à l’Assemblée, celle-ci reste une caisse d’enregistrement des décisions du président, qui y est toujours accueilli par des salves d’applaudissements révérencieux.
Le mufti Hassoun, en poste depuis 2005, est lui aussi un partisan fidèle de M. Assad. Il a toujours relayé les thèses conspirationnistes du régime, faisant de la révolution une pure et simple opération de déstabilisation, menée par des islamistes aux ordres des monarchies du Golfe. « De ce que l’on en connaît, c’est un programme classique, analyse un ex-diplomate français à Damas, qui a vu défiler dans les années 2000 de nombreuses délégations parlementaires. Comme il n’y a pas de parti d’opposition, le pouvoir fait rencontrer à ses hôtes des responsables religieux, qui racontent évidemment comment le régime respecte les minorités et assure l’harmonie entre les communautés. C’est un peu comme si un député américain en visite en France rencontrait l’archevêque de Paris pour se faire une idée de la situation politique. C’est risible. »
« Faire bouger les lignes »
D’après M. Myard, les quatre élus ont également visité un hôpital, « où nous avons vu des choses atroces, des gamines blessées par des terroristes ». Questionné sur le risque d’absoudre un régime mis au ban de la communauté internationale pour ses crimes de masse, établis par d’innombrables rapports de l’ONU et d’organisations de défense des droits de l’homme, l’élu des Yvelines, une forte tête de l’Assemblée, également connu pour ses positions pro-Kremlin dans la crise ukrainienne, botte en touche.
« Je ne donne l’absolution à personne mais je pense que ce n’est pas aussi blanc et noir qu’on veut nous le faire croire. Et je pense que notre visite va faire bouger les lignes ». Dans les rangs de la droite, à l’Assemblée nationale, plus d’un député veut voir dans ce voyage un « ballon d’essai », destiné à tester le terrain à Damas, dans la perspective d’une progressive reprise des relations diplomatiques. Une thèse démentie par Elisabeth Guigou, la présidente de la commission des affaires étrangères, qui affirme n’avoir pas été consultée.
Même son de cloche à l’Elysée. « Si l’on avait des messages à faire passer à Damas, ce n’est pas sur Bapt que l’on compterait », confie un conseiller de François Hollande. Le 15 février, lors du Grand Rendez-Vous Europe 1, avec Le Monde et i-Télé, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, avait rappelé la ligne défendue par la France en Syrie. « Bachar Al-Assad n’a rien à envier à Daech [acronyme arabe de l’EI] et réciproquement en matière de barbarie. […] L’idée qu’on pourrait trouver la paix en Syrie en faisant confiance à Bachar Al-Assad et en pensant qu’il est l’avenir de son pays est une idée que je crois fausse. »
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