par fernando » 15 Avr 2015, 13:52
Placé sur écoutes, Claude Guéant promet de ne « pas balancer »
Le Monde.fr | 15.04.2015 à 11h56 • Mis à jour le 15.04.2015 à 12h29 | Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Claude Guéant partage décidément tout avec son mentor, Nicolas Sarkozy. Jusqu’à se faire piéger, tout comme lui, par son second téléphone portable, qu’il croyait sûr… Tout débute au mois de mai 2013 lorsque les policiers mandatés par les juges Serge Tournaire et René Grouman, chargés de l’affaire libyenne – le financement supposé de la campagne présidentielle de M. Sarkozy en 2007 par le régime libyen –, interceptent une conversation entre M. Guéant et l’ancienne chef de son cabinet, Nathalie Gonzalez-Prado, à qui il communique un nouveau numéro qu’il dit utiliser pour échapper aux journalistes. Quoi qu’il en soit, pendant plusieurs mois, les enquêteurs vont ainsi surprendre, sur ce second portable, une série de conversations mettant en scène un homme en plein désarroi, convaincu d’avoir été lâché par les siens.
En colère contre l’UMP… et Sarkozy
En ce printemps 2013, M. Guéant est publiquement mis en cause dans plusieurs affaires, notamment celle des primes de cabinet et celle des tableaux. Le 4 juin, son fils lui envoie ce SMS : « Je crois beaucoup à la théorie du bouc émissaire et je crois que ça ne dérange pas ton ancien boss bien au contraire », écrit François Guéant, faisant allusion à Nicolas Sarkozy. « Là il faut penser qu’à sa gueule papa », ajoute-t-il. « Tu as raison », répond Claude Guéant. Quelques jours plus tard, le 11 juin, c’est Marie-Sophie Charki, la fille de M. Guéant, qui téléphone à son père, afin d’évoquer cette affaire de primes. « Moi j’en ai ras-le-bol des insultes », clame Mme Charki. « Moi aussi. Oui oui. Ben moi aussi hein », répond M. Guéant. « Ça doit être l’intérieur qui fait des communications uniquement sur toi », lance-t-elle encore, imaginant que son père est victime d’une manipulation politique. « Ouais bien sûr… », approuve ce dernier. La conversation vient alors sur les « amis » politiques de l’ancien ministre. Des échanges savoureux.
« Et puis l’UMP est nulle aussi… Parce qu’ils ne te défendent pas !, dit Marie-Sophie Charki
– Oui. Bien sûr, répond Claude Guéant
– Ils sont dégueulasses ! C’est des dégueulasses de toute façon.
– Oui mais ça c’est sûr (…) Et puis quand tu vois certains qui disent pas forcément des choses négatives, qui disent… Mais qui défendent pas, quoi (…) Et que tu sais qui ils sont et ce qu’ils ont fait (…) Ou font !
– Ouais.
– Bon, ben tu peux… Hein… Parce que je… Je sais quelques petits trucs quand même !
– Ouais.
– Tu vois ? On n’est pas ministre de l’intérieur en vain !
– Ben ce serait bien qu’un jour tu les balances… Parce que franchement…
– (Rires de M. Guéant)
– Franchement il y a vraiment des claques qui se perdent !
– Ouais. »
Quelques heures plus tard, M. Guéant est recontacté par sa fille.
« Ce qu’il y a c’est qu’il faudrait que t’aies un ou deux copains à l’UMP qui te défendent, quoi, parce que c’est pas juste ce qu’il font, hein ? », interroge Mme Charki. « Bah oui je sais bien », approuve son père. « Mais t’en as pas un ou deux qui peut quand même être sympa et… » « Non », la coupe Claude Guéant, qui indique : « Je me démerderai tout seul et j’y arriverai tout seul. » « C’est dégueulasse franchement la politique c’est vraiment un sale milieu, vraiment… », déplore-t-elle. « Ah oui ça c’est sûr », approuve M. Guéant.
« Ouais et puis ils se tiennent tous entre eux tu vois, c’est vraiment des médiocres », ajoute sa fille. « Oui, oui, quand je vois les mecs (…) qui font des trucs (…) quand je sais ce qu’ils font, ce qu’ils ont fait et ce qu’ils font, hein bon… », lui répond-il. « Mais pourquoi tu débines pas aussi toi, hein ? », insiste-t-elle. « Ah non c’est pas mon genre (…) Je vais pas débiner Dupont, Durand,… (…) Je me défends mais de là à mettre en cause des gens. »
Le 13 juin 2013, M. Guéant est rappelé par sa fille, sur le même thème. « Je suis très en colère, attaque-t-elle, parce que je trouve qu’à l’UMP quand même, ils ne se sont pas beaucoup bougé les fesses pour te défendre hein quand même… » « Oh bah non, c’est le moins qu’on puisse dire », acquiesce M. Guéant, qui pense avoir l’explication : « Surtout, je ne fais pas partie de la bande quoi… » Sa fille approuve : « T’es pas de leur bande ! C’est pour ça que je te dis… Ils se tiennent tous entre eux ! » « Oui oui (…) Ah c’est sûr ! », conclut M. Guéant. La discussion vient alors sur M. Sarkozy.
Marie-Sophie Cherki : « Ils en ont long comme le bras dans leurs petites affaires personnelles, et puis il n’y en a pas un qui… Et moi je ne suis pas contente après Sarkozy parce qu’il aurait pu faire quelque chose pour toi ! »
– Oui, je pense aussi. Oui oui, moi non plus, répond Claude Guéant.
– Hein ? Hein ? Alors il a intérêt à se méfier parce que le jour où tu vas décider de balancer, et ben… tu vas voir !
– Oh bah je vais pas balancer !
– Ses petits copains, là…
– Je ne vais pas balancer, tu le sais bien.
– Oui, ben écoute…
– Bon, enfin… On est comme on est…
– Il mériterait… Il mériterait…
– (Rires) OK, allez, salut Marie. »
Fillon dans le collimateur
Le 20 juin 2013, toujours en ligne avec sa fille, Claude Guéant évoque un article de L’Express le concernant. « J’ai compris, résume-t-il, que ça voulait dire qu’il fallait un minimum de solidarité parce qu’il ne fallait pas que je craque ! » « Mais c’est pas mon genre », ajoute-t-il, avant de préciser : « Mais je vais quand même distribuer quelques taloches… Gentiment hein… »
A la même période, l’ex-secrétaire général de l’Elysée est souvent en ligne avec Michel Gaudin, directeur du cabinet de M. Sarkozy. Craignant lui aussi d’être écouté, ce dernier utilise le portable de… Véronique Waché, la conseillère en communication de M. Sarkozy. Le 13 juin 2013, les deux hommes évoquent un article publié par Le Lab d’Europe 1 affirmant que l’ancien chef de l’Etat a « lâché » son ancien secrétaire général.
Amer, M. Guéant s’indigne : « En gros, c’est moi qui ai monté l’affaire Tapie quoi. Tu vois ? » « Oui oui. Mais en fait, le président n’a jamais rien dit à personne sur ce sujet. Je peux en témoigner, tente de le rassurer M. Gaudin. Donc tout ça, c’est de la malveillance journalistico-politique. » « Oui, mais tu sais, je pense qu’il y a quand même des gens autour du président (…) qui se laissent aller à ça, Michel. Hein, sinon ça ne sortirait pas ? » « Oui, oui. Non, non, mais je t’en parlerai, répond M. Gaudin. Parce qu’on a des soupçons, puisqu’on en a reparlé avec Véronique, elle m’a appelé pendant le discours du président tout à l’heure. » « Non parce que c’est un peu raide quand même, poursuit M. Guéant. Quoi, bon, moi je suis d’une totale loyauté (…) Je défendrai le président bec et ongles. Mais je ne peux pas porter tous les péchés de la terre ! (…) C’est vraiment le bouc émissaire quoi… Je prends tout sur la tête ! »
Le 1er août 2013, c’est Nicolas Sarkozy lui-même, via son secrétariat, qui vient aux nouvelles. Claude Guéant évoque l’envoi de commissions rogatoires internationales (CRI) par les juges chargés de l’affaire des tableaux. « Ceci dit, à mon sens, il y a moyen de vérifier plus vite qu’en passant par des CRI », observe M. Guéant. « Bah bien sûr, abonde M. Sarkozy. Souvenez-vous ce qu’ils avaient fait dans l’affaire Clearstream. » L’ancien président a toujours reproché au juge Renaud Van Ruymbeke d’avoir mis trop de temps à le mettre hors de cause dans cette affaire de faux listings.
M. Sarkozy évoque ensuite le Sarkothon, organisé par l’UMP après l’invalidation de son compte de campagne et la nécessité pour lui de rembourser l’Etat : « Pour la souscription, on est à 9 millions et demi aujourd’hui (…) Oh mais c’est exceptionnel. Puis ça me sort d’un sacré problème en plus. » Les deux hommes en viennent à la situation de l’UMP. « Et quant à M. Fillon, il est… il est toujours (…) comme on l’attendait », attaque M. Sarkozy. « Oui, oui, tout à fait, il est égal à ce qu’on a connu, absolument, renchérit Claude Guéant. Mais cela étant, il a quand même, M. le président, une caractéristique extraordinaire cet homme-là, c’est que, il peut dire n’importe quoi, tout glisse. » « Je pense, ajoute-t-il, que c’est parce que les gens n’y croient pas quoi. » « Personne ne s’intéresse à lui », conclut cruellement M. Sarkozy.
Nadine Morano « apporteuse d’affaires »
Ce même 1er août 2013, Nadine Morano téléphone à Claude Guéant. Les enquêteurs sont aux aguets car, cette fois, la Libye est l’objet de l’appel. « Bon Claude, commence l’ex-ministre, je vous appelais parce que j’aurais besoin de savoir si vous avez encore des contacts en Libye. Avec le premier ministre qui est actuellement en charge… » « C’est Zeidan, coupe M. Guéant. J’ai un contact auprès de lui. » « Parce que j’aurais besoin d’avoir un contact à haut niveau pour une entreprise et puis (…). On pourrait en reparler de vive voix… dans l’aide qu’on pourrait leur apporter », précise Mme Morano. « Je connais parce que j’ai déjà rencontré quelqu’un qui est l’un de ses conseillers (…) Qui a été ambassadeur à Paris, tout de suite après la révolution », reprend M. Guéant qui promet à son interlocutrice de lui envoyer les coordonnées de son contact libyen. « Si c’est un truc qui marche, je vous en parlerai, lâche Mme Morano. Parce que c’est une implantation d’une entreprise, voilà, il y a de l’apporteur d’affaire(s) à faire. On peut… » « Oui oui. D’accord », l’interrompt M. Guéant. « On en parlera », conclut Mme Morano.
Affaire libyenne : les socialistes a la manœuvre ?
Mais c’est un autre interlocuteur qui semble concentrer l’intérêt des enquêteurs : Alexandre Djouhri, intermédiaire sur de grands contrats internationaux, et accessoirement artisan de l’intrigante réconciliation entre Nicolas Sarkoy et Dominique de Villepin. Les deux hommes, qui se tutoient, semblent très proches. « On va voir les Popov ensemble, hein ? Les Russes ! », propose par exemple M. Djouhri à l’ancien ministre ce 26 septembre 2013. « Ah ben volontiers », répond ce dernier. Mais ce n’est pas cet aspect de la discussion qui retient l’attention.
« Tu sais que j’ai vu là… Bechir. Je suis à Johannesburg, là », lance M. Djouhri. Bechir Saleh, l’ancien directeur du cabinet de Mouammar Kadhafi, est le détenteur de tous les secrets de l’ex-dictature libyenne. Il avait été « exfiltré » de France dans l’urgence entre les deux tours de la dernière présidentielle, juste après que Mediapart – contre qui M. Sarkozy a déposé plainte pour « faux et usage de faux » – ait publié un document évoquant un financement de la campagne 2007 de M. Sarkozy par le régime libyen. « Figure-toi, reprend M. Djouhri, que les socialos lui ont proposé de raconter des conneries. » « De dire, précise-t-il, voilà, oui, effectivement, j’aurais financé… des… mais des saloperies, et là, ils lui donnaient l’école pour les enfants, ils demandaient à la Libye de lever le mandat d’Interpol. » « C’est une magouille, s’exclame M. Guéant. C’est incroyable. » Un peu plus tard dans la discussion, M. Djouhri revient sur les éventuelles démarches qui auraient été effectuées par des émissaires des socialistes auprès de M. Saleh : « Attends, je te raconterai de vive voix tout ce que Bechir m’a raconté, les allées et venues (…) Des mecs qui sont venus lui parler et tout, mais c’est pas possible. »
Les confidences de M. Djouhri pourraient être extrêmement embarrassantes pour le pouvoir, accusé de fait d’avoir tenté de faire pression sur un témoin important dans une procédure judicaire afin de nuire à Nicolas Sarkozy. Si ces approches ont bien eu lieu, elles ne semblent pas avoir été couronnées de succès : en novembre 2013, quelques semaines après cette conversation interceptée par les enquêteurs, M. Saleh, dans les colonnes de Vanity Fair, n’avait absolument pas confirmé avoir participé au financement occulte des activités politiques de M. Sarkozy, qualifiant même le document de Mediapart de « faux grossier ». De source gouvernementale, on indique qu’aucune démarche n’a été entreprise auprès de M. Saleh.
"L'alcool tue lentement. On s'en fout, on a le temps."