par fernando » 20 Août 2015, 15:21
Iran: Netanyahou est démenti par ses principaux chefs militaires
20 août 2015 | Par René Backmann
Dans un rapport, le général Eizenkot, chef d’état-major de l’armée israélienne, détaille pourquoi l’Iran n'est pas une menace majeure pour Israël. Son diagnostic rejoint l'appel d'une quarantaine d’ex-généraux à ce que leur gouvernement accepte l’accord sur le nucléaire. Cela n'empêche nullement Benjamin Netanyahou de tout faire pour que le Congrès américain rejette l'accord, avec le soutien d'une large majorité des Israéliens.
L’Iran n’est pas, pour Israël, la menace principale. Ce jugement en contradiction totale avec les déclarations et la stratégie politique et diplomatique de Benjamin Netanyahou, surtout depuis l’accord du 14 juillet 2015 sur la démilitarisation du programme nucléaire iranien, n’émane pas d’un de ces « cœurs saignants » de l’extrême gauche israélienne que le Likoud et ses alliés méprisent. Il provient d’un document de 33 pages, en hébreu, portant la signature du général Gadi Eizenkot, chef d’état-major de l’armée israélienne. Sous un titre banal – « La stratégie des forces de défense d’Israël » – ce document expose en cinq chapitres la doctrine d’évolution et d’utilisation des forces du général Eizenkot, qui a succédé en février 2015 au général Benny Gantz, à la tête de l’armée israélienne.
Issu d’une famille marocaine – sa mère est originaire de Casablanca, son père de Marrakech –, ce fantassin de 55 ans, formé au sein de la brigade Golani, a gravi en 35 ans tous les échelons de la hiérarchie militaire, du commandement de la division de « Judée-Samarie » (Cisjordanie) à la tête de la Branche des opérations et au commandement de la région nord. Il passe pour un dur, réputé pour ses options opérationnelles implacables. Pendant la guerre du Liban, en 2006, il avait annoncé que chaque village libanais d’où partiraient des tirs du Hezbollah serait « rayé de la carte ». Mais il est aussi connu pour son franc-parler et sa méfiance face à l’aventurisme des politiques…
Le texte qu’il a rendu public la semaine dernière – initiative inédite en Israël – constitue la version abrégée et expurgée d’un document beaucoup plus riche en données opérationnelles et stratégiques, préparé par un groupe d’experts de la Branche des opérations, et communiqué il y a quelques semaines aux principaux responsables militaires. Dans le premier chapitre de la version destinée au public, consacré aux « Aspects militaires de la perception de la sécurité », le général Eizenkot, fidèle à sa réputation, rappelle que « l’ennemi ne peut être vaincu par un combat défensif et que seule l’offensive peut permettre d’obtenir des résultats militaires clairs ».
Mais c’est sur la définition de « l’ennemi » que le document révèle une vision stratégique sinon originale, du moins actualisée.
Alors que l’armée israélienne des années 1950 et 1960 avait été conçue pour affronter les assauts des pays arabes voisins sur ses frontières, les accords de paix avec l’Égypte puis la Jordanie, le changement de régime en Irak et la dislocation en cours de la Syrie imposent une définition renouvelée de la menace. Aujourd’hui, affirme le document, les principaux ennemis d’Israël ne sont plus ses voisins, mais les « organisations militaires » islamistes comme le Hezbollah et le Hamas, qui disposent du soutien de certains États de la région, et les organisations terroristes islamistes, engagées dans le djihad global comme Al-Qaïda, ou dans la conquête d’un espace géographique comme l’État islamique.
L’Iran est mentionné dans le document comme allié et soutien du Hezbollah et du Hamas, jamais comme une menace en soi – nucléaire ou non. Cette absence s’explique-t-elle, comme l’avancent les partisans de Netanyahou, par le caractère sensible de ce dossier et le secret qui protégerait la stratégie israélienne dans cette affaire ? Ou bien par le crédit que l’état-major accorderait au document signé le 14 juillet 2015 entre l’Iran et les « 5+1 » (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France, Allemagne) ?
Quelle que soit la réponse, le simple fait que le chef d’état-major israélien ait décidé, dans un document public, de tenir, sur l’Iran, un discours à l’opposé de celui du premier ministre révèle, au moins, une spectaculaire divergence sur la communication. Et peut-être davantage.
Alors que Netanyahou s’efforce de mobiliser, avec l’aide de ses riches partisans américains, les membres du Congrès des États-Unis pour qu’ils s’opposent à l’accord conclu avec Téhéran, au risque d’ouvrir une épreuve de force avec Barack Obama, le général Eizenkot rappelle dans son texte que parmi les principaux objectifs stratégiques de l’armée israélienne figure « le renforcement de l’alliance avec les États-Unis ». Il insiste aussi, à l’heure où les observateurs relèvent l’isolement diplomatique croissant auquel Israël est confronté en raison de l’attitude de Netanyahou, sur la nécessité de « renforcer la position d’Israël dans l’arène internationale ».
Il ne s’agit d’ailleurs pas du premier désaccord, sur ce point, entre les deux hommes. En 2010, Gadi Eizenkot, à l’époque vice-chef d’état-major, avait adressé une lettre au premier ministre pour exprimer son désaccord avec l’hypothèse d’une frappe aérienne sur des cibles nucléaires iraniennes que le gouvernement semblait envisager. Une telle attaque, relevait le général, pourrait entraîner Israël dans une guerre dangereuse et mettre en péril l’alliance avec les États-Unis. Alliance concrétisée notamment par une aide militaire annuelle de 3 milliards de dollars versée par Washington au gouvernement israélien.
47 % des Israéliens sont favorables à une frappe militaire contre l’Iran
Curieusement, alors que l’opposition de centre gauche, en plein naufrage moral et idéologique, soutient Netanyahou dans sa condamnation de l’accord du 14 juillet, c’est des milieux militaires et sécuritaires que viennent, en Israël, les prises de position les plus pragmatiques, voire les plus favorables à l’accord sur le nucléaire iranien.
Moins de deux semaines avant la publication du document du général Eizenkot, une soixantaine de personnalités, parmi lesquelles deux anciens chefs du Shin Bet (service de sécurité intérieur), un ancien directeur adjoint du Mossad, un ancien chef des renseignements militaires et une quarantaine de généraux, avaient publié dans la presse une pétition appelant Netanyahou à accepter l’accord. « L’accord conclu par les grandes puissances le 14 juillet avec l’Iran est un fait accompli », constatent les signataires. « C’est pourquoi nous appelons le gouvernement israélien à adopter une politique qui restaurera la confiance et renforcera la coopération sécuritaire et diplomatique avec l’administration américaine afin de se préparer à faire face aux nombreux défis qui vont découler de cet accord. »
Mobilisation vaine apparemment, face à l’alarmisme acharné du premier ministre et des médias qui le soutiennent. Deux sondages, réalisés par la chaîne de télévision Channel 10, au lendemain de la signature de l’accord, puis par le quotidien Ma’ariv, quelques jours plus tard, indiquent qu’une solide majorité d’Israéliens approuvent l’attitude de Netanyahou. Selon ces deux enquêtes, 69 % des Israéliens sont opposés à l’accord, 74 % pensent qu’il n’empêchera pas l’Iran d’obtenir une bombe nucléaire, 78 % estiment qu’il constitue une menace pour Israël, 51 % jugent que « tous les moyens » doivent être employés pour convaincre le Congrès américain de le rejeter et 47 % (contre 35 %) sont même favorables à une frappe militaire israélienne contre l’Iran pour l’empêcher de disposer d’une arme nucléaire.
Généreux ami de Netanyahou et propriétaire du quotidien gratuit Israël Hayom, premier tirage de la presse israélienne, le magnat américain des casinos, Sheldon Adelson, 13e fortune des États-Unis, est disposé à dépenser des dizaines de millions de dollars pour convaincre les membres du Congrès de faire échouer l’accord avec l’Iran. L’American Israël Public Affairs Committee (Aipac), incontournable organisation américaine de soutien à Israël, s’apprête à dépenser entre 20 et 40 millions de dollars de clips de publicité contre l’accord. En ciblant en priorité les démocrates – les républicains étant d’ores et déjà résolus à voter, par principe, contre le texte. Ce pilonnage a déjà commencé à payer.
D’ordinaire très réceptifs aux discours des militaires israéliens, les parlementaires américains – y compris certains démocrates – semblent cette fois sourds aux arguments des généraux, même aux mises en garde d’Eizenkot, qu’il serait pourtant difficile de faire passer pour une colombe. Il y a deux semaines, le sénateur démocrate de New York, Chuck Schumer, très influente voix juive au Congrès, a annoncé qu’il voterait avec les républicains et rejetterait l’accord avec l’Iran. Ce mardi, un autre sénateur démocrate, Robert Menendez, du New Jersey, ancien président de la commission des affaires étrangères du Sénat, a annoncé à son tour qu’il s’opposerait à la validation du texte.
Soumis au démarchage intensif des groupes de soutien à Israël, d’autres démocrates hésitent encore. Au point que l’administration Obama n’est pas assurée de voir le texte franchir l’obstacle du Congrès. Un rejet contraindrait Barack Obama à faire usage de son droit de veto, pour appliquer, malgré tout, les dispositions de l’accord. Et seule la mobilisation des deux tiers des sénateurs et des représentants permettrait alors de « casser » le veto présidentiel. Ce qui serait pour Barack Obama une défaite historique. Et pour Benjamin Netanyahou une victoire grisante, prélude possible à n’importe quelle aventure. Perspectives désastreuses dont le Moyen-Orient en plein chaos se passerait aisément.
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