par une des fakes de Der » 31 Jan 2013, 16:47
Andrew Jennings : "La FIFA est une organisation criminelle"
Journaliste d'investigation spécialisé sur les organisations sportives telles que le CIO et la FIFA, Andrew Jennings, qui anime son propre site internet, est également l'auteur de l'ouvrage polémique Carton rouge, publié en 2006. Après les remous suscités par le dossier publié dans le bi-hebdomadaire France Football sur l'attribution du Mondial 2022 au Qatar, il dresse un réquisitoire féroce contre la Fédération internationale de football et son président, Joseph Blatter.
Les accusations portées par le magazine "France Football" à l'encontre du comportement opaque de la FIFA n'ont rien de neuf. Quel est votre avis ?
Il n'y a en effet pas de nouvelles révélations. Tous les observateurs avisés sont au courant des agissements de la FIFA mais tant que nous n'avons pas de données bancaires, il est difficile de prouver quoi que ce soit. Les réunions, juste avant le vote en 2010 pour l'attribution du Mondial 2022, entre les Qataris, le président de l'UEFA, Michel Platini, et l'ancien président de la République française Nicolas Sarkozy n'avaient rien de secret. Mais il est essentiel de rappeler que ni moi, ni vous, ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande, ni David Cameron ne votent. Ce sont 23 hommes, membres du comité exécutif de l'instance, qui votent et ce sont la moitié d'entre eux qui prennent des pots-de-vin. Le scandale réside dans ce fait et non dans l'implication éventuel d'un président français. Concernant Michel Platini, on ne détient aucune preuve contre lui et il n'a jamais rien dit à l'encontre de Blatter. Personne ne veut prendre le risque de compromettre ses intérêts personnels.
A défaut de révélations fracassantes, l'article de "France Football" n'a-t-il pas le mérite de mettre à nouveau le projecteur sur les agissements de la FIFA ?
En effet, même s'il n'apporte rien de neuf, ce nouvel article remet sur la table le fait que le Qatar aurait pu payer des pots-de-vin pour organiser le Mondial 2022. Et par ricochet, cela permet également de remettre la pression sur le président de la FIFA, Sepp Blatter. Au lieu de quoi, si l'on continue à le laisser relativement tranquille, il aura encore l'opportunité de placer ses soi-disantes réformes lors du prochain congrès de la FIFA prévu en mai à l'île Maurice. Dans ce cas, tout sera alors enterré. Blatter s'en sortira bien, comme le secrétaire général Jérôme Valcke ou d'autres, à l'image du Paraguayen Nicolas Leoz, président de la Conmebol [Confédération sud-américaine de football].
En 2010, lors du reportage intitulé "Dirty secrets" diffusé dans l'émission Panorama de la BBC, vous aviez d'ailleurs révélé que ce même Nicolas Leoz a reçu des pots-de-vin liés à l'attribution des contrats de vente des droits télévisuels du Mondial.
Oui, nous avons des preuves écrites que Leoz a reçu des pots-de-vin de la part d'une société nommée ISL qui a remporté ce fameux contrat de distribution. Rien n'a changé depuis. Nicolas Leoz est toujours en position de juger des rapports d'évaluation de corruption écrits par l'enquêteur en chef que la FIFA a elle-même nommé, l'ancien procureur américain Michael Garcia. Pourquoi la presse ne pointe pas plus souvent du doigt le fait que Blatter et la FIFA paient directement les personnes qui sont censées nettoyer cette instance ?
La création d'une commission d'enquête interne à la FIFA pour évaluer les attributions des Mondiaux 2018 et 2022 est-elle crédible ?
Il n'y a pas d'enquêtes ! La seule manière d'enquêter sur ces attributions serait de faire intervenir la police. Seules les autorités compétentes peuvent avoir accès aux comptes bancaires. Que peut faire Michael Garcia ? Il n'a aucun droit ! Oubliez que c'était un procureur, il n'est qu'un avocat avec ni plus ni moins de pouvoir que vous ou moi. Il y a déjà eu une enquête concernant la FIFA menée par Thomas Hildebrand, procureur du canton de Zoug en Suisse. Personne n'en a tenu compte. Tous les journalistes applaudissent la mise en place de la commission mais force est de constater que pas grand-monde ne dénonce les conflits d'intérêts engendrés.
Le Qatar figure actuellement sur le banc des accusés. L'émirat du Golfe ne s'est-il pas seulement inscrit dans une triste lignée ?
Ce qui s'est passé avec le Qatar n'a rien de surprenant. Grâce au travail de la presse allemande, il est de notoriété publique que la Coupe du monde en Allemagne en 2006 avait été achetée en 2000 par Leo Kirch [grand entrepreneur allemand détenteur de colossaux contrats de droits télévisés sportifs]. En 2002, au Japon et en Corée du Sud, cela avait été aussi le cas. Concernant la France en 1998, je n'ai aucune idée puisque je n'ai vraiment aucune information. Des suspicions existent donc pour les Mondiaux 2018 et 2022 en Russie et au Qatar. La délégation anglaise [l'Angleterre était candidate à l'organisation du Mondial 2018] avait dénoncé ces irrégularités. C'est absurde : il ne fallait pas faire acte de candidature, puisque, en refusant de payer des pots-de-vin, la défaite était inévitable.
Le Qatar n'est donc pas plus coupable que les autres ?
Un pot-de-vin est un pot-de-vin. La puissance d'un pays n'a rien à voir. C'est le fonctionnement même de la FIFA qui est en cause. La moitié de ceux qui dirigent l'instance est corrompue et l'autre ne dit rien car elle bénéficie des largesses de son président, Joseph Blatter.
Le système du président Blatter est-il différent de celui de son prédecesseur, le Brésilien Joao Havelange (1974-1998) ?
A mon sens, il n'y pas de différence entre Blatter et Havelange. Le Brésilien a dirigé la FIFA lorsque les Coupes du monde ont commencé à générer de l'argent pour le football en termes de droits télévisés et de marketing. Au total, il aurait détourné près de 56 millions de dollars même si, à la BBC, nous n'avons réussi à le coincer que pour 1 million de dollars. Il a perdu son siège au CIO mais il reste président d'honneur à la FIFA malgré toutes les preuves que nous avons publiées. La FIFA est une organisation criminelle.
Pouvez-vous préciser ce point ?
Lors d'un article que j'ai écrit pour l'académie britannique de journalisme, j'ai dénoncé les menaces qui m'étaient adressées par Blatter parce que j'étais sur le point de faire une intervention à Miami sur la famille du crime organisé que constitue la FIFA. J'ai regardé dans le dictionnaire la définition d'"organisation criminelle". Tous les critères sont remplis : un leader, une omerta, dans les faits aucun membre de la FIFA ne se permet de critiquer son organisation... Tout le contraire d'une démocratie. Zurich, où siège la FIFA, se situe quelque part entre Moscou et Pyongyang. Le système est fondé sur la vente illégale des billets de la Coupe de monde. Une enquête de la BBC a montré que 44 % des billets des Mondiaux sont vendus en catimini par la FIFA aux différentes fédérations.
Les révocations récentes de Mohamed Bin Hammam et Jack Warner, anciens membres du comité exécutif de la FIFA, peuvent-elles être prises comme des contre-feux ?
Le Qatari Bin Hammam a financé les deux dernières élections de Blatter. Pour la troisième en 2011, il a demandé, en vain, au Suisse de lui laisser sa place comme convenu. Hammam s'est alors lancé dans une tournée mondiale pour tenter d'acheter son élection. Il se rend chez Warner, président de la Concacaf, et se fait pincer. Cela arrange bien Blatter, qui n'a alors plus personne face à lui lors de l'élection. Il a toujours voulu se séparer de Warner, qui est un personnage embarrassant.
La FIFA est-elle différente d'autres grandes organisations sportives telles que l'UEFA et le CIO ?
Oui, il y a une différence. Globalement, l'UEFA est plus propre que la FIFA. Il y a beaucoup plus de contre-pouvoirs, d'observateurs en Europe. Il est plus ardu d'être un criminel à cette échelle, et en Europe par rapport à l'Asie, l'Amérique du Sud ou l'Afrique. Il serait souhaitable que l'instance européenne ait le courage de témoigner contre la FIFA. En ce qui concerne le CIO, il y a également des dénégations quant aux soupçons qui existent aussi sur la vente de billets, comme à Londres en 2012. L'omerta existe mais je ne pense pas que l'ampleur des problèmes soit de nature à qualifier le CIO d'organisation criminelle.