par otto » 23 Juin 2013, 11:12
On se croirait sur P-L...
CHARLEVILLE-MEZIERES (Ardennes). Après deux jours d'un passionnant procès en appel, le jeune homme a été acquitté, hier soir, du viol dont il était accusé et pour lequel il était détenu depuis… vingt-sept mois.
JUSQU'AU BOUT, ce fut parole contre parole. Celle de Kevin Zobda, déjà condamné à huit ans par des jurés marnais lors d'un premier procès en septembre dernier, face à celle d'Anne*. Les jurés, à l'issue de deux jours de débats, ne pouvaient en choisir qu'une. Disséquée depuis vingt-sept mois par les policiers rémois puis les magistrats instructeurs, consciencieusement auscultée pendant deux jours par la cour d'assises des Ardennes, chacune des deux vérités semblait, au terme des débats, conserver une part d'ombre. Que s'était-il donc passé entre Kevin Zobda et Anne*, peu après minuit, dans la nuit du 29 au 30 octobre 2010 ? Ces deux-là, qui ne s'étaient jamais vus auparavant, s'étaient croisés, parlés pendant plus d'une heure. Puis Anne s'était rendue chez Kevin, dans son studio de 12 m2 situé sur l'avenue de Laon. Ils avaient eu une relation sexuelle. Contrainte selon Anne : « Il m'a violée […] Je pleurais, je voulais juste m'en sortir vivante » ; consentie et même instructive, d'après Kevin Zobda : « Elle m'a fait des choses que je n'avais jamais imaginées ».
« On est dans une relation entre adultes. Depuis le début, le problème de cette affaire, c'est celui du consentement », avait sobrement résumé le président Gilles Latapie. Le crime présumé n'avait derrière lui laissé ni témoin, ni trace de violence sur la plaignante, ni preuve matérielle. Les jurés étaient plongés dans le brouillard. Certes, certaines interrogations semblaient bel et bien accréditer les convictions de l'accusation. Comment une femme pourrait-elle accepter un rapport sexuel lorsque le préservatif utilisé par son partenaire est un emballage plastique pour concombre, tout juste sorti d'un réfrigérateur, alors même que tous les distributeurs de pharmacie en proposent ?
Comment une femme, si elle est consentante, aurait l'idée, au moment de passer à l'acte, d'annoncer à ce même partenaire qu'elle serait porteuse du virus du sida alors ce n'était pas le cas ? Pourquoi, depuis près de trois ans, Anne mentirait-elle ? L'hypothèse d'un intérêt financier ne tenait pas ; et l'idée que cette femme de 37 ans, mère de deux enfants et salariée dans une blanchisserie, se soit résolue à laisser Kevin Zobda en prison pour justifier une infidélité auprès de son compagnon - avec qui elle était depuis six mois… - paraissait tout simplement insensée. Lorsque les policiers et l'un des piétons qui l'avaient recueilli lors de cette fameuse nuit avaient évoqué une femme « choquée, en pleurs » et « culpabilisée », tout semblait encore cohérent.
Dans le camp d'en face aussi, on martelait avec force d'autres constatations. Plusieurs fois, Me Ursulet, chargé de défendre l'accusé, avait insisté : « Madame, lorsque vous dites à l'accusé que vous avez le sida, il s'en va chercher des préservatifs qu'il ne trouvera pas. Il vous laisse seule dans son appartement - trois, cinq peut-être sept minutes. Pourquoi restez-vous sans bouger ? Sans crier ''Au secours''? Sans ouvrir sa porte ? Sa fenêtre ? » Il y avait aussi cette poignée de phrases qui pouvait mettre en doute la crédibilité d'Anne : c'est elle qui, de son propre aveu, avait d'abord « enlevé ses bottes » chez Kevin. Interrogée au lendemain du viol présumé, la sœur d'Anne avait aussi dit aux enquêteurs : « Ma sœur est quelqu'un de génial, sauf quand elle a bu ». Ce soir-là, elle avait effectivement consommé « quatre whisky-coca et un coktail ».
Enfin, il y avait ce détail, terriblement cru, rapporté par Anne : lors de leur relation sexuelle, le jeune homme de 26 ans lui avait proposé une sodomie. Elle avait refusée. Et Kevin Zobda avait répondu : « D'accord. Je respecte ». Des mots en décalage avec le crime dont il était accusé. « Drôle de violeur ! », pouvait ironiser Me Ursulet. Qu'importe, par ailleurs, que l'accusé ait pu fanfaronner auprès d'un expert : « Des copines, j'en ai toujours eu ! Quand il y a de la place pour une, y'a de la place pour plusieurs ! » Si Kevin Zobda n'était pas un grand romantique, cela ne pouvait pas pour autant faire de lui un violeur parti ce soir-là « à la chasse ».
Après trois heures de délibéré, les jurés ont décidé d'acquitter Kevin Zobda. Au regard des doutes soulevés par la défense, c'était assurément la décision la plus raisonnable. À l'énoncé de ce jugement qui lui faisait retrouver la liberté après… vingt-sept mois de détention provisoire, Kevin Zobda, pour la première fois du procès, a souri. Au premier rang, ses parents et les proches qui les avaient accompagnés pour ce long voyage se sont pris par les épaules. Des larmes ont coulé. Regard extatique, le père s'est approché de son fils et lui a baisé les mains. Ce matin, les Zobda rentreront en Martinique. La suite leur appartient.