par fernando » 20 Sep 2013, 11:14
La police se saisit de l'aveu enregistré de Dassault
19 septembre 2013 | Par Fabrice Arfi
L’enregistrement révélé par Mediapart, dans lequel le sénateur UMP Serge Dassault admet avoir versé illégalement de l’argent à l’occasion de l’élection municipale de 2010 à Corbeil-Essonnes, est désormais une pièce à conviction judiciaire. Dans le même temps, les avocats du milliardaire réclament la censure de la bande.
L’affaire Dassault rebondit. L’enregistrement révélé par Mediapart, dans lequel le sénateur UMP Serge Dassault admet avoir versé illégalement de l’argent au moment de l’élection municipale de 2010 à Corbeil-Essonnes, est désormais entre les mains de la police. Dans le même temps, les avocats de l'avionneur milliardaire ont demandé la censure des bandes, qu’ils estiment attentatoires à l’intimité de la vie privée de leur client.
Serge Dassault dans le jardin du Sénat, le 10 mai 2011. © Reuters
Suite à une réquisition de la Division nationale des investigations financières et fiscales (Dniff), en charge d’une enquête judiciaire portant sur la corruption électorale de Corbeil-Essonnes, nous avons remis aux policiers de Nanterre, ce jeudi 19 septembre, une copie des trois extraits diffusés dimanche par Mediapart.
Dans cet enregistrement, réalisé de manière clandestine en novembre 2012 par deux habitants de Corbeil, Serge Dassault dit ouvertement avoir commis des actes « interdits » et opéré des paiements occultes depuis le Liban en 2010. Il confie aussi son inquiétude d’être désormais « surveillé par la police ».
Les deux interlocuteurs du milliardaire se plaignaient durant la conversation (d’une durée totale de 24 minutes) qu’un acteur clé du « système Dassault », Younès B., n’ait pas redistribué comme prévu 1,7 million d’euros destinés à acheter les voix des électeurs de certains quartiers populaires du sud de Corbeil. L’élection de 2010 avait été remportée par un employé du groupe de presse de M. Dassault, Jean-Pierre Bechter, l’industriel ayant été déclaré inéligible après l’invalidation par le Conseil d’État d’une précédente élection pour cause de « fraude électorale ».
Dans une lettre datée du 17 septembre, Edwy Plenel, le directeur de Mediapart, explique aux policiers de la Dniff pourquoi il fait droit, en accord avec les avocats du journal, Mes Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, à leur réquisition sur l’enregistrement : « Nos informations sur Corbeil-Essonnes sont publiques, répondant à un but légitime d’information de nos concitoyens sur tout ce qui est d’intérêt public dans la vie d’une démocratie. C’est pourquoi nous ne voyons aucun obstacle à vous fournir, sur un support informatique, les trois enregistrements déjà diffusés sur Mediapart dans le cadre de notre enquête et désormais largement repris par d’autres médias. »
Devant les enquêteurs, Mediapart a bien entendu gardé le secret sur ses sources, comme la loi sur le droit de la presse le permet.
Au lendemain de nos révélations, les avocats de Serge Dassault, Mes Jean Veil et Pierre Haïk, ont annoncé la convocation de leur client par des juges d’Évry qui enquêtent sur une tentative de meurtre potentiellement liée à la corruption électorale de Corbeil. Il apparaît en effet, comme l’ont découvert les services de police qui travaillent sur les divers volets du dossier, que les deux hommes qui ont enregistré secrètement Serge Dassault fin 2012 se sont fait tirer dessus trois mois plus tard par un proche du milliardaire, Younès B., celui-là même qui était accusé durant la conversation de ne pas avoir redistribué comme convenu l’argent noir des élections.
La principale victime des coups de feu a été grièvement blessée, après avoir reçu trois balles de calibre .38. Le tireur, qui a réussi à quitter la France après son crime, résiderait aujourd’hui en Algérie, d’après des sources proches de l’enquête judiciaire.
La censure de l'enregistrement demandée
Dans ce volet du dossier, les juges d’Évry, qui avaient voulu entendre cet été Serge Dassault sous le régime de la garde à vue, mais en avaient été empêché par le bureau du Sénat, opposé à la levée de l’immunité de leur collègue, ont choisi d’auditionner l’industriel comme témoin assisté. L’audition doit avoir lieu le 2 octobre.
Statut hybride entre le témoin simple et le mis en examen, le statut de témoin assisté est une originalité du droit français. Il signifie que les magistrats considèrent que M. Dassault n’est pas extérieur au crime sur lequel ils enquêtent, mais qu’ils ne disposent pas d’un faisceau d’indices graves et concordants justifiant sa mise en examen.
Dans le volet financier de l’affaire, l’enregistrement diffusé par Mediapart, dont Le Canard enchaîné et Le Parisien avaient déjà évoqué l'existence, apparaît en revanche comme un chaînon manquant et une pièce à conviction compromettante pour le sénateur. Ses avocats semblent l’avoir bien compris. Me Jean Veil a ainsi envoyé, le 17 septembre, une mise en demeure au site de partage Dailymotion, qui héberge les enregistrements pirates, pour en réclamer le retrait.
« Ces vidéos, extraits montés d’un enregistrement clandestin réalisé dans le bureau personnel de M. Serge Dassault, constituent à l’évidence des atteintes au respect de la vie privée, infraction prévue et réprimée par l’article 226-1 du code pénal »,écrit l’avocat de M. Dassault.
En accord avec nos avocats et le service juridique de Dailymotion, il a été décidé de retirer les enregistrements du site de partage et de les héberger de manière autonome sur Mediapart. Les enregistrements ne seront, par conséquent, consultables que par les lecteurs de Mediapart.
Manifestement embarrassée par les derniers développements de l’affaire, la défense de Serge Dassault ne conteste pas l’authenticité de l’enregistrement (dont Mediapart s’était bien entendu assuré avant publication) ni même les dons d’argent aux administrés de Corbeil. Les avocats du sénateur, également propriétaire du Figaro, indiquent simplement qu’il s’agissait d’« actions philanthropiques », déconnectées des échéances électorales de la ville, comme ils l’ont écrit dans un communiqué 3.
« Ayant toujours eu à cœur d'utiliser sa fortune pour porter aide ou secours, quand cela lui paraissait utile et opportun, à des familles ou à des jeunes en difficulté ou désireux de lancer des projets professionnels », poursuivaient les avocats. Seulement voilà : au micro de France Info en octobre 2009 3, au lendemain d’une élection municipale déjà contestée, Serge Dassault déclarait le contraire. « Je n’ai jamais payé de ma fortune personnelle pour quoi que ce soit (à Corbeil – ndlr). Tout ça, c’est du cinéma ! » affirmait notamment le milliardaire.
Se plaignant durant cette même interview de l’invalidation de son élection par le Conseil d’État, M. Dassault assurait qu’il n’y avait pas de « preuves » et que le jugement avait été rédigé sur des « on-dit ». L’enregistrement aujourd’hui entre les mains de la police montre que le meilleur diffuseur de « on-dit » sur les pratiques de Serge Dassault est… Dassault Serge.
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